#62 - Syrie, histoire d’une expatriation dans un pays en conflit

expatriation syrie

Kelly : Bonjour à toutes et à tous et merci de nous retrouver pour un nouvel épisode aujourd’hui qui, attention, je ne vous raconte pas la pression que je me suis mise depuis plusieurs jours, parce que j’espère vraiment être à la hauteur de cette interview, parce que c’est vraiment un pays, comme vous l’avez pu le voir, dans le titre, pas courant pour une expatriation !

Et du coup, sans plus tarder, je vais laisser mon invitée se présenter, si tu peux nous dire ton prénom, ton âge et la ville où tu te trouves actuellement.

Charlotte : Bonjour Kelly, déjà merci de m’avoir invitée à participer à ton podcast.

Donc je m’appelle Charlotte, j’ai 34 ans et je suis actuellement à Damas en Syrie.

Voilà, Damas en Syrie, donc je ne vais pas te cacher.

Ça fait une semaine que je parle à tout le monde, que je vais interroger une femme en Syrie.

Et la question, c’était, mais pourquoi?

Mais pourquoi une femme voudrait aller vivre en Syrie?

Mais avant, je sais que ton parcours a quelque chose à voir avec tout ça, et avant qu’on en arrive à ton parcours et à ton histoire, ce que je te propose de faire, c’est qu’on va faire une petite série de questions Vrai ou faux?

Charlotte : Ça marche.

Première question.

C’est en Syrie que l’on trouve la librairie la plus vieille au monde?

Charlotte : Voilà, je ne sais même pas.

C’est possible, parce que je ne suis pas censée parler.

Si, tu peux parler.

Je suis censée dire tout.

Kelly : Tu peux parler, t’inquiètes.

Charlotte : Damas, c’est la capitale la plus vieille au monde, c’est-à-dire celle qui a le plus longtemps été habitée. Ça fait 4000 ans sans interruption qu’elle est habité.

Donc c’est possible.

Allez, je vous dirais vrai.

Kelly : Eh bien, oui, c’est vrai ! En fait, il y a des ruines.

Il y a des ruines qui ont été découvertes.

Et c’est la ville de Hebla, si je ne dis pas de bêtises, si ça se prononce comme ça.

Et en fait, elle a été découverte en 1974.

Et ils ont découvert plus de 1800 tablettes d’argile qui datent de 3000 ans avant Jésus-Christ.

Charlotte : Incroyable.

Kelly : Donc j’ai dû vérifier cette information sur trois sites différents parce que je disais, mais avant Jésus-Christ, c’est juste pas possible, en fait.

Eh bien, si.

C’est possible.

Donc voilà.

Deuxième question.

Après la Première Guerre mondiale, le contrôle de la Syrie a été donné à la France, ce qui a causé encore plus d’affrontements.

Charlotte : C’est vrai !

Kelly : Oui, ça, j’avais envie d’en parler parce que ça m’a un peu surpris comme information.

Et en 1961, la Syrie est devenue indépendante.

Et depuis 1970, c’est Hafez al-Assad qui a pris le contrôle.

Et c’est cette famille.

Le casque de son fils qui a pris le contrôle au début des années 2000.

Exactement.

Donc j’étais étonnée.

Je ne savais pas que la France avait à un moment contrôlé la Syrie.

Charlotte : Oui, tout à fait.

Ils ont eu un mandat français.

Et d’ailleurs, par exemple, comme beaucoup de pays dans le monde arabe, la loi actuelle, la loi en Syrie, est basée sur la loi française, en fait, puisqu’elle a été imposée pendant le mandat français.

Kelly : D’accord, OK.

Je ne savais pas cette info.

Et d’ailleurs, je vais peut-être être hors sujet, mais je lisais aussi que les Syriens sont les plus gros consommateurs de cigarettes.

Alors, je me suis dit, est-ce qu’en France, on aurait mis cette sale habitude de fumer?

Peut-être.

Charlotte : Peut-être qu’on a aussi influencé par rapport à ça.

Kelly : Oui, mais oui, c’est les plus gros consommateurs.

Troisième question.

Les deux étoiles sur le drapeau de la Syrie représentent l’union entre la Syrie et le Liban.

Charlotte : Je dirais non.

Tu as raison, c’est faux.

Est-ce que tu as une idée de ce qu’elles représentent?

Charlotte : Je ne sais plus. Ce n’est pas l’union entre la Syrie et l’Égypte ?

Kelly : C’est ça ! 

Voilà, la Syrie et l’Égypte étaient un seul et même pays à un moment donné.

Et ensuite, la Syrie a retrouvé totalement son indépendance.

Voilà, c’est ça.

Et j’ai fait exprès de mettre ça, parce que je sais que toi, tu as une petite histoire avec l’Égypte.

Charlotte : Eh oui.

Kelly : Donc, c’était une petite dédicace.

Donc voilà, tu as très bien réussi cette petite série de vrai ou faux.

Et avant que je te pose les questions, je voulais juste faire une petite dédicace à Victoire, qui avait fait l’épisode sur la Jordanie et qui m’a informée de ton profil, etc.

Et qui m’a dit qu’il faut absolument que tu ailles l’interroger.

Donc voilà, merci Victoire.

Grâce à toi, aujourd’hui, on enregistre cet épisode.

Donc, je suis vraiment ravie.

Charlotte : Moi aussi, je lui fais un petit coucou et je lui dis à dimanche, puisqu’on se voit, on va se rencontrer du coup dimanche à Amman.

Kelly : C’est incroyable !

Faites gaffe que je ne prenne pas l’ avion demain pour vous rejoindre dimanche.

Parce que là, je suis trop jalouse.

Charlotte : On va peut-être te voir débarquer.

Kelly : C’est clair, avec moi, on est à l’abri de rien en plus.

Enfin, voilà.

Bon, ben écoute Charlotte, est-ce que tu pourrais plonger les gens sur l’histoire de Charlotte?

Qui es-tu? Où as-tu grandi? Qu’as-tu fait comme études, etc.?

Dans les grandes lignes, bien évidemment.

Charlotte : Ouais, ouais.

Alors, j’ai grandi dans le sud de la France, en Provence, Toulouse et puis surtout Avignon.

Et j’ai toujours eu envie de voyager, vraiment.

Ça a toujours été quelque chose qui m’intéressait.

Et puis, donc j’ai cherché un moyen de pouvoir travailler, d’avoir un métier qui me permette de voyager en même temps.

J’ai commencé par faire une licence d’anglais allemand.

Et puis ensuite, j’ai fait un master FLE, donc français langue étrangère, pour enseigner le français aux étrangers.

Et à partir de ce moment-là, je suis devenue prof à l’étranger.

Bon, alors il y a eu plein d’étapes différentes.

Parmi lesquelles, j’imagine, on va un peu naviguer.

Mais voilà, l’idée, c’était de pouvoir être assez libre de mes choix, de pouvoir voyager, de pouvoir travailler.

Je n’ai jamais voulu, par exemple, passer le concours de l’éducation nationale parce que je ne voulais pas, même si tu es dans l’éducation nationale, si tu veux, tu peux, tu sais, être mutée à l’étranger, etc.

Mais moi, je ne voulais pas ça.

Je voulais être libre de pouvoir une année si j’ai envie de travailler et puis une autre, faire une pause de six mois, partir, revenir.

Voilà, j’avais envie d’être libre de mes moments.

Donc, c’est comme ça que je suis partie à l’étranger au départ.

Kelly : Et donc, quand toi, tu avais cette vision de pouvoir partir à l’étranger, quels étaient à peu près les pays ou les continents que tu envisageais?

Tu avais une idée?

Charlotte : Ouais, alors en fait, pas du tout le Moyen-Orient, alors que ça fait dix ans que je suis ici.

Mais en fait, j’étais très attirée par l’Europe du Nord, la Scandinavie.

J’ai eu un moment de ma vie, avant de me décider à être prof, je voulais, mon rêve, c’était d’être styliste à Londres. Tu vois, rien à voir, je suis prof en Syrie.

Il s’est passé quelque chose, clairement.

Mes parents sont du Nord de la France, donc tu vois, une mentalité différente du Sud, très carrée.

Moi, je rêvais de ça aussi.

Je suis très organisée, j’aime le calme et tout.

Donc, rien à voir avec l’Égypte, par exemple.

Et c’était plus, ouais, tous ces pays, Scandinave ou bien j’ai habité, j’ai fait ma licence, ma L3, j’ai été Erasmus à Berlin.

Je rêvais, voilà, d’habiter à Londres.

Je voyageais pas mal l’été en Scandinavie, etc.

Donc, c’était tout ça qui m’attirait surtout au début.

Pareil, les États-Unis, le Canada, j’avais eu envie de faire un visa tourisme et travail, tu sais, en Australie.

Voilà, et puis en 2013, j’ai mis un pied au Maroc et là…

Ça a changé complètement de direction et ça a été le début de mes aventures dans le monde arabe.

Kelly : D’accord, justement, j’allais te dire, mais alors qu’est-ce qui s’est passé pour que du jour au lendemain, tu switches complètement? Donc, comment t’as été amenée à aller au Maroc?

Charlotte : Donc, en fait, j’étais en France et je travaillais comme assistante d’éducation dans beaucoup d’établissements scolaires type ZEP, lycées professionnels, etc.

Et donc, dans ces établissements scolaires-là, la grande majorité des élèves sont issus de l’immigration maghrébine.

Donc, ça a été vraiment mon premier contact, en fait, avec le monde arabe.

Et moi, j’étais hyper intéressée par leur mentalité, par leurs références, par leur double culture, toute la problématique d’être française et une autre nationalité, donc marocaine, algérienne, etc.

Et c’est vrai que ça a commencé à vraiment m’intéresser.

J’ai eu envie d’en savoir plus.

Et à partir de ce moment-là, dans ma vie, j’ai rencontré beaucoup, soit de personnes arabes, soit de personnes d’origine arabe, et qui m’ont petit à petit justement mis sur cette piste-là.

Et quand j’ai fait mon master, je devais faire un stage de fin d’études et j’ai une de mes amies qui m’a dit, écoute, j’ai un oncle à Ouarzazate, dans le sud du Maroc, qui a une école.

Est-ce que tu veux qu’on voit s’il peut te prendre en stage?

Et donc, lui n’a pas pu me prendre en stage dans son école, mais il m’a trouvé une école à Ouarzazate où faire mon stage.

Et c’est pour ça que je suis partie, début février, pour quatre mois au Maroc pour mon stage de fin d’études et ma première expérience dans le monde arabe.

Kelly : Du coup, tu pars en stage au Maroc, tout se passe très bien, il se termine et quels sont tes objectifs pros du coup?

Charlotte : Eh bien, je devais finir mon master, voilà, et je cherchais du travail aussi.

Et en fait, alors rien à voir, mais du coup, je vois une annonce.

Moi, je fonctionne vraiment par coup de cœur.

Enfin, aujourd’hui, il y a une logique, mais avant, il n’y en avait pas tellement.

Mais je vois un poste à Moscou.

Et je me dis, ben tiens, après le désert marocain, pourquoi ne pas aller à Moscou?

Et du coup, je postule et je suis prise.

Donc, je pars début juillet 2013 à Moscou.

Et j’étais censée faire dix mois de contrat.

Je n’en ai fait que six, parce que j’ai vécu…

Enfin, j’ai eu des gros problèmes de sécurité en fait en arrivant.

J’ai eu une tentative de viol le premier soir.

Kelly : Oh, wow!

Charlotte : Et trois semaines après, il y a eu des gens qui tapaient partout dans l’immeuble, etc.

Et on se demandait ce qui se passait.

En fait, on regarde par la fenêtre et on voit qu’en fait, il y a l’armée partout et qu’ils sont en train d’évacuer l’immeuble.

Et on descend et en fait, il y avait un appel anonyme qui avait été passé, qui disait qu’il y avait une bombe dans l’immeuble.

Et ma coloc, je lui dis, c’est quand même bizarre, on n’était pas dans l’hyper-centre de Moscou.

On n’était pas particulièrement dans un quartier problématique.

Et elle me dit, non, mais il y a les Tchétchènes, il y a trois ans, on fait exploser un immeuble à deux rues d’ici.

Oh, les boules ! 

Charlotte : Et en fait, ça a été un enchaînement vraiment d’événements assez particuliers où clairement, je ne suis pas quelqu’un de peureuse, je n’ai pas spécialement peur dans ma vie.

Mais par contre, je m’écoute beaucoup et là, je sentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas et que c’était l’univers qui me disait, mais casse-toi quoi, parce que ça va t’arriver des broutilles.

Donc, j’ai fini par quitter Moscou au bout de six mois parce que je ne me sentais pas rassurée.

Kelly : Tu as tenu six mois, j’ai envie de dire.

Moi, je ne sais pas si j’aurais tenu aussi longtemps honnêtement.

Donc, tu étais quand même déterminée.

Charlotte : Ce n’était pas évident, mais après, ça s’est calmé aussi.

Ça a été vraiment les deux, trois premiers mois où il y a eu vraiment beaucoup, beaucoup d’événements comme ça.

Il y a vraiment la mort partout en fait.

Il se passait plein de choses autour de moi assez morbides.

Et en septembre, j’ai donné ma démission en me disant, voilà, j’ai déjà acheté mon billet pour Noël, je ne reviendrai pas, mais je ne veux pas partir comme ça non plus, entre guillemets, comme une voleuse.

Tu vois, j’avais envie de ne pas partir sur ce point-là non plus.

Donc, je suis restée en me disant, bon, je vais essayer d’en faire quelque chose de chouette.

Et effectivement, petit à petit, ça allait mieux.

J’ai même hésité à continuer finalement à la fin, mais il y avait d’autres choses qui étaient compliquées.

J’avais énormément de travail, j’étais très mal payée.

Je ne pouvais pas spécialement profiter trop de la vie là-bas.

Donc, je me suis dit, bon, ça ne vaut pas le coup et j’ai préféré partir.

Mais voilà, j’ai voulu essayer quand même d’en faire une expérience sympa,

de partir sur un autre sentiment que celui du stress permanent que j’ai pu avoir les premiers mois. 

Kelly : Tu m’étonnes.

Et donc, du coup, là, tu rentres en France, j’imagine?

Charlotte : C’est ça.

Kelly : Et tu te laisses un peu de temps pour te poser, etc.?

Ou comment ça se passe?

Charlotte : Exactement.

Donc, on est du coup fin 2013, début 2014.

Je n’avais pas encore terminé mon master.

Comme j’ai commencé directement le boulot à Moscou, je n’avais pas fini, il me restait mon mémoire à finir d’écrire.

Donc, en fait, de janvier à juin, j’ai pris un poste comme assistante d’éducation pour pouvoir avoir de l’espace mental pour écrire mon mémoire.

Donc, j’ai bossé comme ça, j’ai fait mon mémoire.

Et puis, je reçois fin mai, début mai, courant mai, je ne sais plus, un appel d’un pote qui me dit, écoute, j’ai envie d’aller voir un pote en commun qui bosse au Caire, mais je n’ai pas envie d’y aller tout seul parce que, je ne sais pas, j’ai peur d’aller en Égypte.

On est quand même 2014, la révolution vient à peine de se terminer.

Les images qu’on reçoit de l’Égypte, ça fait un peu flipper.

Tous les Français sont partis.

On est quand même dans un contexte encore assez instable.

Et moi, comme je t’ai dit tout à l’heure, je n’ai jamais eu d’attirance spécialement pour le monde arabe, mais c’est vrai qu’il y avait eu cette expérience au Maroc que j’avais beaucoup aimée.

Donc, je me dis, même si l’Égypte ne m’attirait pas du tout, il y a beaucoup de gens, tu sais, qui sont passionnés par l’Égypte antique.

Il y a une vraie passion.

Alors moi, ça ne m’a jamais intéressée.

Mais je me dis, OK, pourquoi pas, allez, on y va.

Et début juin, on atterrit au Caire.

Et en fait, je suis censée rester un mois.

J’avais fini mon mémoire, etc.

Donc, j’avais quasiment terminé mon master et il ne me restait plus que ma soutenance de mémoire.

Et on était censés rester un mois.

Et en fait, moi, au bout de trois jours, je me suis dit, en fait, là, il y a quelque chose.

Il se passe quelque chose.

Je ressens quelque chose de très fort dans ce pays.

Un mois, ça ne va pas du tout suffire pour découvrir, ne serait-ce que le Caire, encore moins, bien sûr, l’Égypte.

Où je commençais à me dire, bon, je crois que je vais passer un peu plus de temps ici.

Donc, à la fin du mois de juin, je rentre en France pour passer ma soutenance de mémoire.

Et en fait, je suis restée dix jours et je suis repartie.

Kelly : Excellent.

Charlotte : Je suis repartie, j’ai annulé tous mes plans de l’été.

J’avais plein de choses, tout était planifié, j’ai tout annulé.

Et je suis partie en Égypte.

Voilà, et je suis restée quelques mois.

Je suis restée jusqu’en novembre.

Je ne bossais pas, j’avais rencontré tellement de gens.

En fait, je passais le temps un peu, on allait au café, on allait se promener, on discutait.

J’emmagasinais tout un tas d’informations, d’émotions, de tout ça.

J’apprenais énormément sur la Révolution égyptienne, que moi, j’avais suivi de loin sur mon canapé en France, mais je n’avais pas les détails clairement de ce qui s’était passé.

Donc là, moi, j’ai rencontré énormément de révolutionnaires égyptiens qui du coup, partageaient avec moi tout ce qu’ils avaient vécu pendant toutes ces années.

Donc là, je prends une grosse, grosse claque.

Je réalise que j’étais assez naïve jusqu’à ce moment-là dans ma vie.

Moi, j’aimais avoir mon petit appartement, mes petites robes, j’achetais énormément de vêtements, beaucoup d’objets, je consommais beaucoup.

Et je n’étais pas tellement consciente des problèmes dans le monde.

Oui, comme tout le monde, je voyais aux informations ce qui se passait, mais ce n’est pas que ça ne me touchait pas, mais c’est juste que ça me semblait très loin, tout ça.

Donc là, je me retrouve en fait un peu après la révolution, mais je me retrouve finalement quand même assez submergée par tout ça.

Et du coup, je reste jusqu’en novembre.

En novembre, je commence vraiment à fatiguer parce que le Caire, c’est hyper fatigant.

Kelly : C’est ce que j’allais te dire.

Désolée de te couper la parole, mais j’ai eu l’opportunité de visiter le Caire.

Bien évidemment, je voulais aller voir les pyramides.

Déjà, je n’avais aucune idée que les pyramides étaient autant dans la ville.

Mais bon, bref, j’y suis allée une journée.

Une journée.

Je suis sortie de cette journée, j’étais épuisée par le bruit.

Enfin, pour moi, c’était un énorme bordel où tu es constamment…

Enfin, moi, j’ai pris une claque, mais pas la même que toi, je pense.

Et à la fin de la journée, c’est drôle parce que tu me disais que tu aimais bien le calme.

Donc du coup, je suis un peu surprise que justement, ça t’ai plu autant.

Charlotte : Ouais, ouais, ben bon..

De toute façon, tout à l’heure, tu as dit pourquoi la Syrie?

Ben, je me pose la même question.

Enfin, pourquoi l’Égypte?

Pourquoi je suis dans des pays qui me ressemblent…

Enfin, qui ne correspondent pas à ma nature de base, quoi.

Bon, évidemment, il y a plein de réponses à ça.

Mais en fait, je pense que j’ai aimé…

Déjà, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires dès que je suis arrivée.

Et donc, j’ai tout de suite eu un espèce de quotidien, un espèce d’une sensation de bien-être, tu vois, de te retrouver dans un groupe avec des gens que tu aimes tout de suite, avec qui tu te sens à l’aise, etc.

Donc ça, c’était très fort.

Ensuite, je pense que j’aime quand même le challenge.

Et du coup, là, être au cœur, c’est un vrai challenge quotidien.

Parce que comme tu dis, c’est extrêmement fatigant.

Au niveau culturel, c’est vraiment différent.

Au niveau de la langue, si tu ne parles pas anglais, c’est très compliqué.

Il y a plein, plein de choses au quotidien à gérer.

Et je pense que j’ai aussi aimé ça.

J’ai aimé ce côté où, en fait, tu es obligé de te renforcer quand tu es au cœur avec ce que tu vis là-bas.

Parce que ce n’est pas une vie facile, ce n’est pas un quotidien facile.

Donc, je pense que j’ai aimé aussi cet aspect-là.

Et je me suis laissée complètement aspirée par ce truc-là.

Donc, c’est pour ça que je suis restée.

Après, comme je te dis, au bout de six mois, en novembre, j’étais extrêmement fatiguée.

Et j’ai ressenti le besoin de rentrer en France, de me poser, parce qu’il y a eu la claque humaine de ce que j’ai vécu.

Et puis, la claque culturelle, la claque du quotidien, etc.

La claque énergétique, j’ai envie de dire.

Donc, j’ai eu besoin de rentrer en France, me poser un petit peu.

Et puis, à la base, ce n’était pas du tout dans mes projets de m’installer en Égypte, de partir, etc.

Donc, je n’étais pas…

Enfin, voilà, c’était une espèce de parenthèse.

Sauf qu’en fait, j’avais rencontré quelqu’un aussi en Égypte, au bout d’une semaine d’ailleurs, et que c’est une personne à laquelle je me suis énormément attachée.

Ça a été une très, très, très, très belle rencontre.

Et en fait, moi, en novembre, quand je suis partie, je lui ai dit, écoute, moi, je ne peux plus rester au Caire, vivre, je ne me vois pas, m’installer ici, j’ai besoin d’aller en France, me poser, etc.

Lui, il fait partie de ces révolutionnaires que j’avais rencontrés.

C’est un artiste et c’est quelqu’un qui est complètement en opposition avec le régime égyptien.

Et du coup, lui, il n’avait aucun avenir dans ce pays-là.

Et du coup, je lui ai dit, écoute, tu sais quoi?

Viens, on se marie.

Tu viens en France, ça marche, tant mieux.

Ça ne marche pas, tant pis.

Au moins, tu seras en sécurité, tu auras d’autres opportunités.

Et puis, voilà.

Et du coup, on a lancé les procédures de mariage en novembre.

Moi, je retournais en Égypte à chaque vacances scolaires.

Du coup, je suis rentrée en France, j’ai pris un poste de contractuel.

Je rentrais comme enseignante.

J’allais en Égypte à chaque vacances scolaires pour le mariage, pour ensuite, tous les papiers sont là, etc.

Et il est arrivé l’année d’après, en septembre, du coup, on est en 2015.

Ouais, c’est ça, septembre 2015.

On a vécu quelques temps ensemble en France.

Puis moi, j’ai eu besoin de retrouver ma liberté de mouvement, etc.

Donc, on s’est séparés en 2016.

Et puis, j’ai commencé à avoir besoin aussi de repartir et de faire ce que je voulais.

Donc, l’étape suivante a été en 2017.

Je suis partie six mois au Moyen-Orient de nouveau, puisque ça me manquait énormément.

Je suis partie, en fait, pour projet, de partir six mois en Sac à Dos.

Donc, je suis retournée en Égypte.

J’ai passé deux mois et demi en Égypte, au Caire principalement, et puis là-dedans, au Sinaï.

Du Sinaï, j’ai pris un ferry pour aller jusqu’en Jordanie.

Je suis arrivée au sud de la Jordanie.

Pendant deux, trois semaines, j’ai voyagé en Jordanie.

Et ensuite, le 1er novembre 2017, j’ai passé la frontière pour rentrer en Palestine.

Et j’ai passé trois mois en Palestine.

Kelly : D’ailleurs, j’ai une question avant qu’on en arrive à la Palestine, parce que c’est clair que c’est un sujet que j’ai envie d’aborder, parce qu’il y a des choses que je sais que tu as dit et qu’il va falloir répéter. Comment tu gères ton entourage?

Parce que j’imagine quand même dire à son entourage, je pars en Égypte, je vais me marier avec un Égyptien, je reviens en France.

Qu’est-ce qui se passe dans ton entourage?

Charlotte : Alors déjà, j’ai beaucoup de chance.

J’ai des parents extrêmement ouverts d’esprit.

Et j’ai des parents qui m’ont toujours encouragée à faire mes propres choix et suivre mon instinct et voilà.

Donc, quand j’ai dit à mes parents que je partais en Égypte, ça a été un peu dur parce que je rentrais de Russie.

Ça avait été compliqué.

Je suis quand même rentrée un petit peu avec les jambes qui flageolaient.

Tu vois, j’avais vécu des moments pas faciles.

Donc, c’est vrai que quand j’ai dit à ma mère, bon, je veux repartir en Égypte, encore une fois, on est en 2014, c’est pas rassurant, tu vois.

Donc, ma mère, au début, elle n’était pas trop pour.

Et puis, en fait, je parle beaucoup à mes parents.

Je leur raconte beaucoup ce que je vis, les gens que je rencontre, etc.

Et du coup, eux, ils ont réussi à voir cette autre dimension de ce pays-là.

Et je pense que ça les a rassurés.

Après, ils me connaissent aussi et même si j’ai une vie un peu atypique dans le sens où je voyage, où je vis dans des pays où pas forcément tout le monde va, je suis quand même quelqu’un d’assez terre-à-terre et raisonné.

Je ne fais pas n’importe quoi.

Donc, je pense que c’est ce qu’ils m’ont dit aussi.

Ils ont confiance en moi à ce niveau-là.

Donc, je pense qu’ils ont leurs propres peurs et leurs propres angoisses.

Mais je crois aussi que leur stratégie, c’est de ne pas me les faire ressentir et de me laisser vivre ce que j’ai à vivre.

Après, voilà, on communique énormément.

Donc, du coup, ça se passe assez bien.

Pour tout te dire, par exemple, quand j’ai dit à ma mère qu’il y avait un poste pour la Syrie, c’est quand même un autre level dans les pays compliqués.

Quand je lui ai dit en avril 2020 qu’il y avait un poste qui venait de paraître comme prof de français au lycée français de Damas, j’avais envie de postuler, tu vois, mais je ne savais pas trop comment ils allaient réagir.

Je suis allée un petit peu à ta taton comme ça et je dis à ma mère,

« Bon, maman, je ne vais pas postuler. »

« Mais tu sais quoi? Il y a un poste à Damas. »

Elle m’a dit “mais fonce!”.

Kelly : Mais non ?!

Charlotte : Ouais, je te jure.

En plus, à l’époque, j’envisageais une reconversion professionnelle dans l’humanitaire.

Et du coup, ça faisait sens.

Si tu veux partir en Syrie, c’était pour moi un premier pas.

Aller voir sur place comment ça se passait, ce qui se passait, prendre contact avec des ONG, etc.

Donc, c’était logique, si tu veux, malgré tout, dans mon parcours.

Et puis, ça faisait déjà plusieurs années que j’étais au Moyen-Orient.

J’avais déjà été en Palestine, etc.

Donc, je n’étais pas non plus sortie de nulle part.

Je veux partir en Syrie.

Voilà, il y avait quand même quelque chose derrière.

Kelly : J’ai envie de rebondir sur ça parce qu’en fait, je trouve que ce que tu viens de dire, c’est super important, la communication et l’échange.

Mais ce que je trouve aussi qui est important, ce n’est pas d’échanger sur « je veux partir de la France parce que j’ai pas envie de ci, j’ai pas envie de ça. »

En fait, toi, tu étais dans la communication, dans le sens où j’ai envie d’aller dans ces pays parce qu’ils m’apportent ces choses-là et parce que j’ai envie d’avancer comme ça, comme ça.

Parce que souvent, je trouve que quand on parle ici en France de nos projets d’expatriation, par exemple, on va dire « oui, j’ai envie de quitter la France, je ne me sens pas libre » ou peu importe les raisons qui sont qu’on veut partir.

Alors que je le disais encore récemment à une femme qui m’appelait un peu à l’aide en disant « mais comment on fait en fait? »

Et je lui disais « mais en fait, il faut que tu exposes quels sont les aspects positifs d’aller dans ce pays que tu es en train de viser. »

Parce que sinon, les gens, forcément, ils ne comprennent pas, ils ne sont pas dans ta tête.

Et c’est important d’expliquer le pourquoi, mais positivement et pas le négatif en fait.

Charlotte : Oui, tout à fait, parce que sinon, les gens vont penser que c’est une fuite.

Et du coup, ils ne comprennent pas, ils pensent que tu pars parce que tu ne supportes pas ta vie, ton pays, etc.

Alors que souvent, c’est juste que les gens ont envie de découvrir l’ailleurs, d’aller voir ce qui se passe dans un autre pays, comment on mange, c’est quoi les types de bâtiments, les personnes, les cultures, etc.

Et en fait, le souci, c’est compliqué, c’est que tes propres choix, les gens les regardent et les interprètent avec leurs propres angoisses.

Donc, des gens qui n’ont pas forcément envie de voyager ou qui ont peur de voyager, si tu leur dis « j’ai envie d’aller, mais ne serait-ce qu’au Maroc », qui est quand même un pays assez tranquille, eux, ça leur fait peur parce qu’ils n’arrivent pas à concevoir comment tu peux passer ce cap-là parce qu’eux n’en sont pas capables.

Kelly : Exactement.

Charlotte : Je pense qu’il y a aussi une distance à mettre avec l’opinion de certaines personnes.

Si t’es bien entouré et que t’as des gens qui comprennent, tant mieux.

Mais je pense qu’il faut mettre aussi une distance avec ce que les gens peuvent te dire

parce que ce n’est pas par rapport à toi qu’ils parlent, mais c’est par rapport à eux-mêmes.

Ils regardent, eux, leurs attentes de la vie, leurs propres angoisses, leurs propres peurs, et ils vont interpréter tes choix et tes décisions et tes actions selon leur point de vue.

Il faut mettre pas mal de distance avec ça, je pense, c’est important.

Par exemple, peut-être quand j’étais juste prof en France, moi, j’étais contractuelle par choix.

Je ne voulais pas, encore une fois, passer le concours.

Mais mes collègues, ça les rendait fous.

Ils ne comprenaient pas.

Ils me disaient, mais passe le concours, mais l’instabilité, mais si, mais ça.

Je disais, mais ça, c’est toi, c’est ta manière de vivre, c’est ta manière de concevoir la vie.

Ce n’est pas la mienne.

Je n’ai pas envie de rester au même endroit pendant des années.

Je n’ai pas besoin de cette stabilité administrative, financière.

Elle ne me fait pas peur.

Donc, laisse-moi vivre ma vie comme moi, je l’entends.

Kelly : J’adore.

Charlotte : Ne stresse pas, parce que moi, je ne stresse pas.

Kelly : J’adore, parce que je suis exactement dans la même situation actuellement.

Et je comprends bien que les gens autour ne comprennent pas, mais je suis très bien, je n’ai jamais été aussi épanouie.

Ne vous inquiétez pas.

C’est difficile à faire entendre.

Charlotte : C’est clair.

Kelly : Mais du coup, pour en revenir à ton petit séjour en Palestine, parce que je sais que tu as été faire des récoltes d’olives. Donc, est-ce que tu pourrais nous raconter cette petite aventure?

Charlotte : Oui.

Alors, j’ai passé trois mois en Palestine dans le but d’aller être bénévole dans des associations palestiniennes, dans différents endroits de la Palestine.

Et notamment, je suis arrivée au moment de la récolte des olives.

Et donc, ce qui se passe en Palestine au moment de la récolte des olives, c’est que la Palestine est divisée en trois zones.

La zone A, qui est sous contrôle de l’autorité palestinienne.

La zone B, qui est un truc un peu bâtard entre les deux.

Et la zone C, qui est la Palestine, mais contrôlée par l’armée israélienne.

Donc, ça veut dire que par exemple, si tu vis en zone C, si tu as un champ, si tu as un puits, si tu as n’importe quoi, une maison, un terrain, pour n’importe quel projet, tu dois demander l’autorisation de l’armée israélienne.

Donc, par exemple, si tu as un champ et que tu veux récolter tes olives, tu dois demander l’autorisation à l’armée israélienne.

Si tu as un puits et que tu veux puiser de l’eau, tu dois demander l’autorisation.

Ils ont le contrôle, l’accès à l’eau, l’accès à l’électricité, etc.

Donc, ce qui se passe pour la récolte des olives, c’est que les Palestiniens te demandent l’autorisation, c’est complètement aléatoire, des fois ils l’ont, des fois ils ne l’ont pas, des fois ils l’ont pour un jour, des fois ils l’ont pour trois jours, voilà.

En plus, il y a beaucoup de violence envers les Palestiniens quotidiennement, et quand il y a la récolte des olives, régulièrement l’armée israélienne va dans les champs et soit frappe les fermiers, les agriculteurs palestiniens, soit brûle les oliviers, ça c’est un super moyen de faire partir les gens puisque, du coup, c’est un terrain et des oliviers cramés, les Palestiniens, ça met extrêmement longtemps à reculer, à donner des olives.

Donc, les gens sont obligés de partir parce qu’ils n’ont plus de ressources.

Et donc, ce qui se passe, c’est que pendant la période de la récolte des olives, souvent il y a, et c’est choquant ce que je vais dire, mais il y a des Blancs à qui on demande d’accompagner les Palestiniens.

Ce n’est pas tellement pour les aider à récolter les olives, même si, bien sûr, ça fait des mains en plus, mais c’est plus pour avoir une présence blanche, une présence internationale, occidentale, qui, du coup, va être un espèce de frein parce que l’armée israélienne ne va pas attaquer les Blancs et ne va pas attaquer, du coup, les Palestiniens qui sont avec les Blancs, puisqu’on va dire que mondialement, malheureusement, la valeur de la vie d’un Blanc est bien plus élevée que celle d’un Arabe.

Donc, du coup, il n’y a pas de violence s’il y a des Blancs.

Donc, moi, je suis allée avec une famille à côté de Naplouse et on était plusieurs, ce qu’on appelle internationaux, en gros, ça veut dire Blancs, avec cette famille pour les aider à récolter leurs olives.

L’armée est venue le matin, ils sont venus à plusieurs soldats, ils ont demandé aux patriarches, en gros, de la famille, de venir pour expliquer la situation, qui sont ces personnes avec vous, c’est quoi les noms, pourquoi ils sont là, etc.

Donc, on a fait notre récolte des olives, ils sont revenus le soir pour vérifier s’il y avait plus de monde, moins de monde, pour voir ce qui s’était passé.

En fait, cette famille avait eu une autorisation de trois jours et le soir même, le soir du premier jour, ils nous ont appelés, enfin, ils ont appelé l’association et ils ont dit, ben voilà, l’armée a décidé que c’était fini, on a eu sept journées et c’est tout.

Voilà, ils ont annulé l’autorisation.

Kelly : J’avais entendu cette histoire et elle est folle, quoi.

Déjà, de voir qu’ils sont obligés d’avoir des boucliers blancs humains, c’est franchement, c’est horrible.

Charlotte : Comme ça, je peux t’en raconter des dizaines, je crois, de trucs que j’ai vécu, vu, dont j’ai été témoin, enfin, c’est fou, c’est fou. C’est une humiliation, c’est une violence mentale ou physique quotidienne, c’est des restrictions de liberté tout le temps.

Pour moi, la Palestine, ça a été l’une des expériences qui m’a le plus, franchement, bouleversée et traumatisée parce que c’est une espèce de prison à ciel ouvert parce qu’eux, ils n’ont quasiment aucune possibilité d’en sortir. Comme, officiellement, l’État de la Palestine n’existe pas, je parle légalement, il n’y a pas d’État palestinien.

C’est pour ça qu’on parle de territoire palestinien, de territoire palestinien occupé.

Et c’est pour ça que les pro-palestiniens tiennent à dire Palestine parce que pour nous, dans le cœur, bien sûr que l’État existe, mais légalement, il n’y a pas d’État de Palestine.

C’est pour ça que si tu rentres en Palestine, t’es obligé d’avoir un visa israélien, même quand tu passes, par exemple, par la Jordanie, où officiellement, Israël n’a pas de territoire là-dedans, mais ils contrôlent toutes les frontières.

Tu ne peux pas rentrer en Palestine sans passer par Israël.

C’est pas possible, t’es obligé d’avoir un visa israélien.

Kelly : C’est fou, c’est franchement fou.

Mais du coup, il y a des associations qui peuvent, j’imagine, essayent de lutter contre ça, essayent d’aider du mieux qu’ils peuvent?

Charlotte : Oui, juste, je finis ce que je voulais dire sur pourquoi je disais qu’il n’y a pas d’État légal.

Du coup, c’est ce qui fait que les Palestiniens, eux, il y a une carte d’identité, mais il n’y a pas vraiment de passeport palestinien, si tu veux.

Donc, c’est très compliqué de voyager, de sortir de la Palestine.

Et même à l’intérieur de la Palestine, il y a une espèce de hiérarchisation, faite par Israël, pas par la Palestine, il y a une hiérarchisation des Palestiniens.

Par exemple, les Palestiniens de Jérusalem, ils ont plus de droits que les Palestiniens, bon, clairement, que Gaza, par exemple, ou que les Palestiniens de la vallée du Jourdain, etc.

Donc, tu as une hiérarchisation horrible, qui fait que, du coup, tu peux t’imaginer, ça crée aussi des conflits dans la communauté, c’est atroce.

Tu as aussi la question des Arabes israéliens, qui, eux, ont encore un autre statut.

Donc, tout est fait pour créer du conflit, pour créer de la confusion, pour détruire les gens.

Le but, c’est vraiment de les faire partir.

Et pour répondre à ta question sur les associations, il y a des associations locales, qui essayent de soulager au maximum le quotidien de ces gens-là. Donc, ça peut être la récolte des olives, on a planté du zaatar, planté des oliviers.

Moi, j’ai fait partie d’un chantier aussi dans la vallée du Jourdain, dans une école près de Géricault, où on construisait une salle de classe en terre traditionnelle, etc.

Pour les petits.

Après, il y a tout un tas d’activités qui sont organisées par ces associations-là.

Il y a aussi beaucoup de communication avec l’extérieur pour dire ce qui se passe.

Il y a des gens qui vont filmer.

Moi, par exemple, on a été appelé, quand j’étais avec le coordinateur…

C’est d’accoucher.

Avec le coordinateur d’une association de la vallée du Jourdain,

il a été appelé à un moment donné pour aller voir ce qui se passait dans, encore une fois, le chant d’un monsieur.

En fait, ce monsieur, il a construit un abri en métal pour mettre son foin en dessous.

Et l’armée israélienne était là.

Il y avait une dizaine de soldats et un bulldozer pour détruire.

Et c’était la huitième fois en deux mois qu’il venait détruire son abri en tol.

On parle d’un abri en tol quatre piquets de la tol au-dessus.

Le problème, c’est que ce monsieur habite en zone C.

Donc, il lui faut une autorisation pour construire son abri.

Évidemment, il a essayé de l’avoir, il ne l’a jamais eu.

Donc, au bout d’un moment, il l’a construit quand même son abri.

Et du coup, ils n’arrêtent pas de venir pour le détruire.

Et donc, c’est de la pression psychologique.

Comment tu fais pour rester chez toi, pour travailler, pour cultiver ta terre tant à l’armée qui débarque toutes les deux semaines pour détruire la moindre chose que tu fais chez toi, dans ton propre jardin?

Kelly : Franchement, il n’y a même pas de mot… Je ne sais même pas quoi dire, en fait.

C’est terrible, c’est terrible.

Charlotte : Et ça fait 70 ans que ça dure et c’est atroce, c’est atroce.

Et ces gens-là, ils s’en vont, les Palestiniens qui partent, et ils se retrouvent dans une autre problématique de…

Ils ne sont pas chez eux.

Les différents pays arabes autour où ils vont vivre, par exemple,

il y a toute une politique aussi de…

On ne donne pas la nationalité du pays aux Palestiniens parce que sinon, ce qui est dit, c’est qu’il n’y aura plus de Palestine s’il n’y a plus de Palestiniens.

Donc, en fait, ils se retrouvent quasiment apatrides, en fait, parce qu’ils ne peuvent plus vivre en Palestine.

Ils sont étrangers et réfugiés dans le pays où ils vivent.

Et par exemple, en Syrie, au Liban, en Jordanie, t’as des gens… C’est pareil, c’est pas parce que tu es né en Syrie que tu es Syrien. Il faut avoir un père Syrien.

Ta mère est étrangère et…

Pardon, si ton père est étranger, tu n’as pas la nationalité syrienne.

Et donc, les Palestiniens, par exemple, s’ils ont des enfants qui naissent en Syrie, leurs enfants seront Palestiniens, ils ne sont pas Syriens.

Donc, c’est toute une problématique derrière parce que du coup, ils n’ont pas les mêmes droits, etc.

Enfin, c’est terrible.

Kelly : C’est horrible !

Charlotte : Et après, t’as des ONG internationales qui font d’autres types de boulots, mais le problème, c’est que politiquement, il n’y a rien qui change.

Donc, pour l’instant, c’est une véritable impasse.

Donc, c’est extrêmement déprimant, quoi.

Et toi, ces trois mois en Palestine, j’imagine que ça a dû quand même te choquer  émotionnellement ?

Oui, totalement.

Kelly : Et donc, du coup, t’es rentrée en France?

Charlotte : Je suis rentrée en France début 2018, franchement, complètement traumatisée.

En fait, je n’ai pas réussi à reprendre ma vie. Cette fois-ci, ce n’était pas possible.

Jusqu’à ce moment-là, je jonglais, tu vois, j’avais vécu six mois en Russie, puis j’étais rentrée, puis j’étais repartie en Égypte, puis ci, puis ça.

Là, je sentais que j’arrivais plus à retrouver ma place en France.

J’ai recommencé à bosser dans un collège, j’ai repris le travail, mais je n’étais plus là, et ça me semblait absurde d’être en France après tout ce que j’avais vécu, tout ce que j’avais vu.

Donc, je n’arrivais plus à trouver ma place. J’ai fait une grosse, grosse pression.

Et en fait, ce que j’ai décidé, c’est qu’en août 2018, donc six mois après mon retour, je suis retournée au Moyen-Orient et je suis partie m’installer en Égypte, pour de bon, pour travailler.

Donc, j’ai trouvé un boulot dans un collège en Égypte.

Et là, j’ai commencé petit à petit à remonter la pente, parce que je me trouvais dans un contexte que j’aimais, avec des gens que j’aimais, des gens qui pouvaient comprendre cette réalité-là aussi, qui pouvaient, même si l’Égypte, ce n’est pas la Palestine, des gens qui ont vécu leur propre tragédie aussi, qui sont aussi très proches des Palestiniens.

Donc, du coup, je me sentais beaucoup plus à ma place, même si, voilà, ça continuait quand même d’être un peu compliqué, même encore aujourd’hui, franchement.

Bon, après, il y a tout ce qui se rajoute avec la civilité, etc., mais c’est vraiment un événement, un voyage qui a complètement bouleversé ma vie.

À partir de ce moment-là, rien n’a plus été pareil, c’est clair.

Kelly : Je n’ose même pas imaginer !

Et l’Égypte, ça a duré combien de temps, cette expérience en Égypte?

Charlotte : Ça a duré deux ans.

Je suis restée deux années scolaires de la rentrée 2018 jusqu’au Covid, où j’ai décidé de rentrer en France en mars 2020 parce que j’avais un salaire assez bas, une situation assez précaire en Égypte, j’étais payée à l’heure.

Donc, du coup, si je ne bossais pas, je n’étais pas payée.

L’école fermée avec le Covid, on commençait à se rendre compte que ça ne sentait quand même pas bon du tout, cette histoire.

Donc, je me suis dit, bon, moi, je ne peux pas rester ici et prendre le risque de dépenser toutes mes économies pour payer mon loyer jusqu’à cet été.

Et dans tous les cas, j’avais décidé, c’était ma dernière année scolaire, j’avais envie d’autre chose.

À la base, je voulais voyager sac à dos, j’avais tout un périple en tête.

Sauf que Covid, je rentre en France et on se rend compte que, en fait, clairement, ça ne va pas du tout être possible à la rentrée pendant septembre de repartir.

Donc, je me dis, écoute, il va falloir trouver du travail, il va falloir bosser, voilà.

Donc, je me dis, bon, j’ai envie…écoute bien ce que je vais dire…

je me dis :  j’ai envie d’un pays plus calme, j’ai envie d’être tranquille, j’ai envie de, voilà,

j’ai envie d’être dans un quotidien plus simple, moins chaotique, etc !!

Donc, je postule pas mal à ce moment-là en Tunisie à plusieurs postes comme prof de français parce que, voilà, la Tunisie, ça me semblait bien, je me disais, à la fois, il y a le côté, c’est quand même le cœur de la révolution, c’est quand même de là que les printemps arabes sont partis.

Donc, je me dis, bon, ça peut être chouette.

Et en même temps, aujourd’hui, c’est quand même assez tranquille par rapport à l’Égypte, par exemple.

Donc, je me dis, OK, je postule.

Et sauf qu’un soir, je me connecte au site des profs à l’étranger et je vois cette annonce de prof de français pour le lycée français de Damas.

Et donc, mon cœur…

Et je me dis, bon, il y a un truc là.

Kelly : Et Charlotte, comme on dit en bon français, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis !

Charlotte : Je m’étais dit, c’est soit un pays calme, soit un, comment dire, une opportunité folle, tu vois.

Donc là, clairement, comme je t’ai dit tout à l’heure, la recherche fonctionne à l’opportunité.

Et là, j’ai vu ce post et je me suis dit, bon, je ne sais pas, la prochaine fois qu’il sera disponible, je n’ai pas de plan, on ne va pas pouvoir voyager.

Enfin, c’est logique dans mon parcours, c’est logique dans ce que j’aime faire.

Donc, allez, je tenterai aussi.

Donc, fin avril, je postule et je suis prise.

Et du coup, voilà, je me dis, dans quelques mois, je déménage en Syrie.

Kelly : Honnêtement, de toi à moi, il y a d’autres gens qui postulaient pour ce poste ?!

Charlotte : C’est la grande question !  haha !

Alors, figure-toi qu’on est pas mal d’illuminés, en fait, à avoir envie de partir en Syrie.

Moi, je reçois énormément de messages sur mon compte Instagram, où je partage beaucoup de photos de la Syrie.

Et il y a beaucoup de gens, vraiment, qui me disent, purée, mais c’est incroyable que tu sois là-bas, c’est fou.

Est-ce que c’est possible de venir?

Comment tu as fait pour venir y travailler, etc.

Donc, j’ai appris ensuite qu’il y avait quand même quelques CV sur la table.

Mais par rapport à mon parcours, justement, je pense que j’ai fait la différence parce que j’avais été en Palestine, j’avais été en Égypte.

Donc, tu as une connaissance du terrain où tu te dis, bon, la personne, elle sait un peu où elle met les pieds.

Elle n’arrive pas, je ne sais pas, d’Espagne, tranquillou.

Voilà, ça les a rassurés de voir où j’avais bossé avant.

Donc, du coup, je pense que ça a aidé à faire le choix, quoi.

Kelly : Et du coup, ça a pris combien de temps entre le soir où tu as vu cette annonce et le moment où tu es partie?

Charlotte : Donc, l’annonce, c’était, voilà, mi-avril, je pense, fin avril, un dessus comme ça.

Et je suis partie début septembre.

Comment ça se passe, justement, quand on envisage de s’expatrier là-haut en termes de visa, etc.?

Charlotte : Alors, le visa, donc, actuellement, les visas touristiques, c’est assez compliqué d’en avoir.

Après, moi, c’est un visa de travail, du coup.

Et c’est l’école qui s’est occupée de tous les papiers.

Moi, je n’ai rien eu à faire en France.

J’ai eu à remplir un formulaire avec des questions type où est-ce que vous avez travaillé, qu’est-ce que vous avez fait, et tout.

Et puis, mes informations personnelles, blabla.

J’ai dû refaire mon passeport et tout, mais ça s’arrête là.

Et eux, ils se sont occupés de tout de leur côté à Damas.

Et ensuite, ils m’ont envoyé un document par mail que j’ai dû imprimer et montrer à la frontière.

Donc, puisque pour aller en Syrie, il faut arriver par la frontière terrestre via le Liban.

Donc, au poste frontière syrien, j’ai présenté mon document, mon passeport, etc.

Et eux, de leur côté, avaient aussi le télégramme de l’école, etc.

Donc, ça m’a permis de pouvoir avoir mon visa et de rentrer.

Ça n’a pas été franchement compliqué.

Je n’ai pas eu à gérer beaucoup de choses.

Après, je sais que du côté de l’école, c’est beaucoup plus compliqué à faire parce que, voilà, la Syrie, ce n’est pas n’importe quel pays.

On est dans un contexte très particulier.

Donc, aujourd’hui, on ne laisse pas rentrer n’importe qui.

Donc, ils doivent faire tout un tas de démarches.

Et je sais que la Syrie vérifie, en fait, aussi qui ils font venir, quoi.

Kelly : J’allais te demander, justement, par rapport au fait que tu avais déjà été, par exemple, en Jordanie et en Israël, etc. Enfin, tu avais déjà fait plusieurs pays.

Ça n’a pas bloqué, ça?

Charlotte : Alors, la seule chose qui aurait pu bloquer, c’est la Palestine.

Parce que la Syrie et Israël sont en guerre.

Et la Syrie fait partie de ces, je crois qu’il y a 12 pays dans le monde qui ne reconnaissent pas l’État d’Israël.

Donc, ils sont en guerre depuis toujours.

Et c’est ce qui fait que, quand tu m’as contacté cette semaine, tu as réagi à une de mes stories.

C’est ce qui fait qu’il y a des bombardements, en fait, régulièrement, une fois par mois, d’Israël sur Damas, en fait.

Israël bombarde la périphérie de Damas, des entrepôts, des bases militaires, etc.

Donc, c’est assez impressionnant parce que, même si ça fait très longtemps que ça existe et on sait qu’il n’y a pas de…

On ne sait pas trop ce qui se passe, on ne sait pas les dégâts, etc.

On sait juste qu’à priori, il n’y a pas de civils qui sont touchés par ça.

Par exemple, là, mardi, c’est ce qui s’est passé.

J’étais chez moi, il était une heure du matin et j’ai entendu un premier missile passer au-dessus de nous, au-dessus de Damas.

Et ensuite, le deuxième a été…

Parfois, la défense aérienne syrienne réplique et fait exploser le missile en l’air pour éviter qu’il aille toucher ce qu’il veut toucher.

Et donc là, c’est ce qui s’est passé.

Et en fait, ça a pété vraiment dans le centre-ville.

Donc, ça a fait une énorme détonation.

Kelly : Horrible !!

Charlotte : Et donc, dans ces moments-là, ce n’est pas drôle.

Kelly : Et du coup, là, quand c’est retombé, deux missiles, etc., personne n’est touché, rien du tout?

Charlotte : Là, justement, il y a des photos qui ont circulé sur des dégâts matériels.

Il y a des morceaux de missiles qui sont arrivés sur des voitures.

Ça a fait exploser des vitres aussi.

Voilà, donc il y a des petits dégâts matériels quand même.

Mais bon, de ce qu’on sait, ça s’arrête là.

Kelly : Et du coup, en fait, tu n’as pas le droit de rentrer en Syrie si tu es déjà allé en Israël ?

Charlotte : En Syrie, comme 11 autres pays dans le monde, ne reconnaissent pas l’État d’Israël.

Et donc, les Israéliens ou toutes les personnes ayant un visa israélien dans leur passeport ne peuvent pas rentrer dans le pays.

Et moi, j’ai un visa israélien puisque je suis allée en Palestine.

Donc, je ne sais pas comment ça se fait qu’ils m’ont laissé passer.

Alors, en Israël, maintenant, ce qu’ils font, c’est qu’ils font les flying visas.

En fait, c’est une carte.

Ce n’est plus un tampon sur ton passeport, c’est une carte que tu peux enlever.

Du coup, s’ils ne font pas de recherche, ils ne voient pas que tu es allé en Israël.

Moi, ma petite théorie qui me plaît, c’est que je me dis que peut-être ils ont vu que j’y suis allée, mais que j’étais de l’autre côté en manif pro-Palestine.

Et que du coup, ils se sont dit… elle est dans le bon camp, on la laisse rentrer, je ne sais pas.

Kelly : Et donc, du coup, raconte-nous justement quand tu es arrivée, comment ça s’est passé?

Charlotte : Eh bien, c’était déjà tout un périple pour arriver jusqu’ici, puisqu’on est en septembre 2020, donc on est encore en grosse crise Covid, plus la problématique de ne pas pouvoir rentrer en Syrie par les airs, de ne pas pouvoir prendre un avion Paris-Damas.

Donc, j’ai pris un avion à Marseille, petit escale à Istanbul, puis arrivé au Liban.

Au Liban, j’ai dû faire deux jours de quarantaine par rapport au Covid, me refaire tester.

Donc, j’ai fait un test avant de partir, un test à l’aéroport de Beyrouth, un test dans l’hôtel.

Et une fois que le test est revenu négatif, au bout de deux jours, j’ai pu prendre la voiture.

Donc, tu traverses le Liban dans sa largeur et tu passes un premier poste aux frontières libanais pour quitter le Liban.

Puis, tu as un petit no man’s land de deux minutes en voiture.

Et ensuite, tu entres dans le… tu passes le poste aux frontières syrien pour rentrer en Syrie.

Et donc là, c’est ce que je te disais tout à l’heure, voilà, eux avaient leur télégramme, moi, j’avais mon document.

Il y avait du monde, donc ça a mis un peu de temps, mais franchement, voilà, c’était… ça allait.

Et puis, ben là, j’entrais en Syrie, quoi. Donc, c’était assez irréel, encore une fois.

Je n’arrivais pas du tout à réaliser que j’étais là, quoi. Vraiment, ça me paraissait fou.

Et comment ça s’est passé? Écoute, je suis arrivée, j’ai eu ma pré-rentrée très vite.

Donc, j’ai été vite dans le truc de l’école.

Après, c’était chouette parce qu’avec mon collègue, qui lui aussi est arrivé de France,

on a pu être hébergés dans la vieille ville, dans la maison d’un collègue.

Donc, une maison arabe, une maison damascène typique avec, tu sais, en forme de carré, un petit peu comme les riads au Maroc,

avec une petite fontaine au milieu, vraiment magnifique. Enfin, c’était incroyable comme arrivée.

Et en fait, au début, c’est fou parce que tu sais, t’as toutes ces images de la Syrie terribles que t’as vues à la télé, les images de la guerre, les images des réfugiés, les images des bombardements, les images de tous ces immeubles par terre, etc.

Et t’arrives à Damas et tu vois pas du tout tout ça parce que Damas a été beaucoup protégée pendant la guerre, mais ça a été aussi pas mal quand même bombardée, mais ça a été plutôt protégée.

Mais tu vois pas toutes ces parties-là. Tu sais que t’es en Syrie, mais tu te dis « attends, c’est bizarre, c’est pas du tout ce que j’ai vu dans les médias, quoi ».

D’accord. Donc il y a un essai de flottement, tu vois, un petit peu, parce que Damas, c’est vraiment tout à fait normal.

Il y a des cafés, il y a des restos, tout le monde sort. Voilà, il y a une vie normale.

À l’époque, l’électricité, ça allait encore à peu près. Là, ça s’est vraiment dégradé particulièrement ces derniers mois.

Mais voilà, il y a des coupures d’électricité. Donc moi, par exemple, dans mon quartier, j’ai deux heures d’électricité toutes les quatre heures.

J’avais… Là, c’est en train de changer. J’ai plus que deux heures. J’ai soit une heure, soit une heure et demie, toutes les quatre ou cinq heures.

Avant, il y avait vraiment des horaires. Là, il n’y en a plus. C’est-à-dire que tous les jours, c’est différent.

Donc en fait, tout est compliqué parce que quand tu n’as pas d’électricité, tu n’as pas d’eau chaude, t’as pas de lumière, t’as pas de tout, quoi.

T’as pas le frigo.

Quand tu te chauffes, par exemple, tu cuisines au gaz, sauf qu’il y a aussi une pénurie de gaz. C’est très difficile de trouver du gaz. Donc tout est compliqué.

Kelly : Là, tu parles de question de capacité d’adaptation. C’est poussé à l’extrême, là.

Charlotte : Oui, c’est clair.

Kelly : Mais c’est quoi la cause que tout d’un coup, d’abord, tu avais deux heures toutes les quatre heures et tout ça, c’est en train de changer, mais pour le pire, en fait?

Charlotte : La raison, c’est les problèmes économiques de la Syrie. Déjà, les six ans de guerre qui ont énormément affecté la Syrie.

Le fait que dans la guerre, il y a beaucoup, par exemple, d’usines, d’entreprises et tout, qui ont été bombardées.

Les puits de pétrole qui ont été pris par différents groupes, donc il n’y a plus accès à tout ça.

Et derrière, il y a aussi les sanctions de l’Europe et des États-Unis, ce qui fait qu’il n’y a plus de monnaie étrangère qui circule dans le pays.

Du coup, quand il n’y a plus de monnaie étrangère, sa valeur augmente, donc ça fait dévaluer la monnaie locale.

Et c’est très difficile d’acheter, par exemple, du pétrole. L’électricité en Syrie fonctionne grâce au pétrole.

C’est très difficile d’acheter du pétrole autour parce que comme il y a des sanctions, tu ne peux pas acheter à n’importe qui.

Tu dois acheter à tes alliés. Imaginons que l’autre pays qui pourrait aider la Syrie, à qui on pourrait acheter, c’est à la limite l’Irak, par exemple.

Sauf que les puits de pétrole en Irak sont contrôlés par les Américains, donc on ne peut pas.

C’est eux qui vendent le pétrole irakien, donc on ne peut pas acheter de pétrole à l’Irak.

L’Arabie saoudite, ce n’est pas possible. Il y a un problème de ressources, il y a un problème de possibilité d’achat, et donc il faut faire des économies.

Ce qui se passe, c’est qu’il y a des coupures d’électricité pour économiser.

Chaque Syrien a ce qu’on appelle une « smart card » qui est reliée à ton numéro de téléphone.

Et en fait, tout est rationné, le gaz, l’électricité, etc. Pardon, le gaz et l’essence, le pétrole.

Par exemple, pour pouvoir faire ton plein, tu dois attendre de recevoir ton message sur ton téléphone qui te dit

« Voilà, vous avez 24 heures pour aller récupérer votre ration de pétrole ou votre bouteille de gaz. »

Et tu as 24 heures avec un lieu prédéterminé. Si tu n’y vas pas, c’est fichu pour toi, il faudra attendre ton tour.

Oui, c’est une vie, on ne s’imagine pas, on ne s’imagine pas du tout. Le quotidien est très difficile ici, vraiment.

Kelly : Oui, j’avais écouté aussi un autre podcast où tu interviens et tu parlais par rapport au prix d’une bouteille de shampoing, par exemple, comparé au salaire d’un Syrien.

Est-ce que tu pourrais le dire à celles et ceux qui nous écoutent?

Charlotte : Oui, c’est ça. Alors, le salaire moyen, donc ça veut dire un employé administratif, un professeur dans une école publique, c’est environ 100 000 livres syriennes. Et actuellement, une bouteille d’huile d’olive, c’est entre 10 000 et 15 000 livres syriennes.

Donc, c’est comme si tu avais un SMIC et que tu payais 100 euros pour une bouteille d’huile d’olive, tu vois.

Donc, non, non, les prix, il y a eu, du coup, il y a eu une inflation de fou, c’est-à-dire qu’il y a encore quelques années,

1 dollar valait 50 livres syriennes. Aujourd’hui, c’est 3 500. Donc, tout a été, moi, depuis que je suis là, tout a été multiplié par deux en termes de prix.

Mais les salaires, eux, ils n’ont pas suivi derrière.

Kelly : Mais toi, du coup, j’imagine aussi, tu dois être… Enfin, je ne sais pas, je ne peux pas me mettre à ta place parce que c’est tout simplement impossible.

Et je pense que ceux qui nous écoutent, c’est pareil. Mais du coup, tu dois être entre cette balance…

J’ai envie de rester parce que je n’ai pas envie de les abandonner, mais en même temps, tu ne peux rien faire.

Donc, combien de temps tu peux continuer à vivre comme ça avec des contraintes qui ne sont quand même pas faciles à vivre au quotidien, j’imagine?

Charlotte : Oui. Ben, je ne sais pas. Pour le moment, c’est très bizarre. C’est dur. Franchement, c’est difficile.

Là, par exemple, on a passé un mois de janvier horrible parce qu’il a neigé deux fois à Damas.

Donc, ça veut dire qu’il faisait extrêmement froid, sauf qu’on n’avait pas d’électricité.

Donc, les maisons étaient en plus très mal isolées. Donc, les maisons, c’était des frigos.

Tu ne peux pas avoir d’alternative parce que, par exemple, la seule alternative que tu peux avoir à ton chauffage électrique, qui du coup est coupée 18 heures par jour, c’est d’acheter soit un chauffage à gaz, soit un chauffage à mazout.

Le chauffage à gaz, le chauffage en lui-même, l’appareil, il coûte 350 000 livres syriennes.

Je rappelle que c’est 100 000 livres syriennes le salaire. Et la bouteille de gaz pleine en ce moment, c’est aussi 350 000 livres syriennes.

Donc, c’est 700 000 livres pour t’acheter un chauffage. Ça veut dire 7 fois un salaire moyen syrien.

Et en plus, il faut trouver du gaz. C’est très difficile d’en trouver. Et même chose pour le mazout.

C’est la même chose. L’appareil, c’est entre 250 et 300 000 livres syriennes.

Et le mazout, c’est en ce moment 3 000 livres le litre. Il te faut 500 litres. C’est énorme, tu vois.

Donc, les gens ne peuvent pas. Donc, ils ont 10 couvertures à la maison. Ils calfutrent tout.

Ils ont des petits, tu sais, les trucs de gaz pour le camping. Ils ont ça et puis, ils se réchauffent un peu avec ça.

C’est terrible. Donc, en janvier, c’était horrible. Tout le monde était malade parce que forcément, tu tombes malade.

Quand tu ne peux pas te réchauffer, à un moment donné, c’est impossible. Tout le monde était malade.

Et là, ça amène à un autre problème. Comment tu te soignes quand tu es malade? Tu vas chez le médecin.

Le médecin, déjà, il faut en trouver parce qu’il y en a beaucoup qui sont partis. Le médecin, c’est 20 000 livres la consultation.

Alors, je pense qu’il y a d’autres trucs. Il doit y avoir des dispensaires et tout parce que la Syrie, c’est quand même un pays avec une histoire socialiste.

Donc, il y a aussi beaucoup de choses qui sont mises en place pour les gens. Donc, je pense qu’il y a d’autres réseaux aussi derrière.

Mais par contre, il faut ensuite pouvoir s’acheter des médicaments. À chaque fois que tu veux t’acheter un médicament, moi, à chaque fois que j’ai besoin d’un médicament, je dois faire entre 8 et 10 pharmacies pour trouver ce dont j’ai besoin.

Et également, il n’y a plus rien. Les médicaments, ils étaient importés avant et on ne peut plus importer avec les sanctions.

Donc, c’est un cercle vicieux.

Kelly : Complètement. Et est-ce que toi, après, c’est toi, mais est-ce que ton entourage peut t’envoyer des colis ou c’est intercepté? Comment ça se passe?

Charlotte : Il n’y a pas de poste. Tu ne peux pas.

Kelly : Tu ne peux pas?

Charlotte : Non. Donc, moi, j’ai fait le plein de médocs. Par exemple, j’ai un problème à l’œil. J’ai des allergies à l’œil qui me font gonfler la paupière.

Je ne peux plus ouvrir. Ça me gratte pendant des heures. C’est horrible.

L’année dernière, je n’ai pas trouvé d’ophtalmo. J’ai fait trois cliniques pour trouver quelqu’un.

Ça a été insupportable. Il n’y avait pas de médicament. Il n’y avait rien qui me calmait.

J’ai fini par recevoir une injection de cortisone.

Mais du coup, quand j’étais en France cet été, je suis allée chez le médecin. J’ai expliqué ce qui m’est arrivé.

Il m’a fait une ordonnance et j’ai fait le plein en France.

J’ai expliqué à la pharmacienne parce que normalement, tu ne peux pas faire ton renouvellement tout de suite.

J’ai dit à la pharmacienne que j’habite en Syrie et que je n’ai pas accès aux médicaments là-bas.

Je repars pour un an. Il faut que j’aie avec moi de quoi faire.

Elle m’a dit de ne pas s’inquiéter. Elle a été hyper sympa. Du coup, elle m’a tout filé. J’ai tout récupéré.

Mais oui, tu es obligé de penser à tout ça. Tu es obligé de faire des prévisions.

Les médicaments, c’est ça. Il faut vraiment prendre ce dont tu as besoin avant de venir parce qu’ici, tu ne peux pas trouver.

Après, il y a encore des étrangers en Syrie. Il y a pas mal d’ONG, etc.

Les gens s’organisent comme ça. Quand il y a quelqu’un qui part en France, il demande des médicaments.

Il fait un stock. Il distribue si jamais il y a besoin. Mais c’est toute une organisation à laquelle il faut penser.

Kelly : Là, je t’écoute et je me dis que dès qu’on raccroche, j’ai envie d’aller à la pharmacie. Enfin, je ne sais pas. J’ai envie d’aider, de faire quelque chose.

Et je me dis que ceux qui nous écoutent doivent se dire la même chose.

Il n’y a rien qu’on puisse faire, même à un petit niveau, pour essayer d’aider un petit peu.

Est-ce qu’il y a des organismes que tu recommandes?

Si on veut vraiment faire un don, ça ne va pas finir dans les poches de quelqu’un. Est-ce que tu as des choses à recommander?

Charlotte : Ça, c’est extrêmement compliqué. C’est extrêmement compliqué parce que moi, la seule chose que j’essaie de dire, c’est que…

Mais ça pose un problème derrière. Il y a une vraie réflexion à avoir. Mais moi, la question des sanctions, c’est vraiment…

Ce que j’essaie de dire, c’est que oui, il s’est passé des atrocités. Et oui, la situation… On ne peut pas nier tout ça, clairement.

Mais en fait, aujourd’hui, la situation quotidienne des 18 millions de Syriens qui vivent ici, elle est extrêmement compliquée.

Alors bien sûr que ce n’est pas… Les sanctions ne sont pas la raison, la seule raison de ce qui se passe aujourd’hui.

Mais ça n’aide clairement pas. Clairement pas. Et du coup, franchement, les Syriens ici espèrent que bientôt, ça va changer.

C’est la seule chose qu’ils disent. Il faut que les sanctions s’arrêtent, qu’on ait une autre marge de manœuvre derrière pour pouvoir faire venir des médicaments, acheter du pétrole à droite à gauche, etc. Au moins ça, pour que la base des besoins des Syriens puisse être… Qu’ils puissent récupérer ça. Parce que là, c’est extrêmement compliqué. Après, c’est dur de savoir à qui donner, que ça va être bien redistribué, etc. C’est très, très compliqué.

Kelly : C’est fou. Franchement, je pense que c’est la première interview où je ne sais même plus quoi répondre parce que ça me…C’est fou. Mais du coup, toi, dans ton quotidien, au niveau de ton travail, tu es quand même épanouie dans ce que tu fais,les enfants, etc ?

Charlotte : Oui. Moi, j’adore mon boulot. J’ai cette chance-là de vraiment aimer mon travail et d’adorer ce que je fais.

Mes élèves, je les aime d’amour. Ça se passe hyper bien. Mes collègues aussi. Donc, moi, je suis super contente d’être là, de pouvoir vivre ça. Parce que pour répondre à ta question de tout à l’heure où tu me disais combien de temps tu penses pouvoir tenir, en fait, c’est vrai que c’est dur. C’est ce que je disais en janvier. Ça a été particulièrement difficile. Et je t’avoue qu’il y a un moment où j’ai regardé les offres, comme je fais souvent pour me tenir un peu au courant des emplois, des postes ouverts, etc.

J’ai vu un poste à Oman, qui est un pays qui me fait vraiment rêver pour les vacances. Et je me suis dit, mais qu’est-ce que je fais ici dans ces conditions-là? Pourquoi je ne suis pas au soleil, à pouvoir prendre une douche quand j’en ai envie, à pouvoir faire rien que la vaisselle?

J’ai besoin de l’eau chaude pour faire la vaisselle. Si je n’ai pas d’électricité, je n’ai pas d’eau chaude. Donc, je ne peux pas prendre ma douche et je ne peux pas faire la vaisselle. Donc, des trucs bêtes comme ça, le ménage, etc., ça t’immobilise. Et des fois, je me dis, purée, mais pourquoi je m’impose ça? Mais à côté de ça, je suis heureuse dans la vie que j’ai choisie. Je ne suis pas venue là par hasard.

J’ai rencontré énormément de personnes qui sont aujourd’hui vraiment devenues des amies. J’apprends énormément sur l’histoire, sur la culture, sur tout ça.

J’ai la chance, en tant que prof, d’avoir le droit de voyager librement dans le pays, alors que les autres étrangers n’ont pas le droit.

Les gens qui bossent dans les ONG, par exemple, doivent être accompagnés, escortés et puis doivent demander des autorisations pour aller sur les différents lieux où ils bossent.

Et je ne sais pas pourquoi, mais moi, en tant que prof, je n’ai pas de problème. Du coup, j’en profite à fond. Je voyage vraiment beaucoup, beaucoup dans le pays, ce qui me permet de voir autre chose, de voir une autre dimension, de voir d’autres villes. Je suis beaucoup allée à Alep. Je vais beaucoup à Alep parce que c’est une ville qui a une histoire complètement différente de celle de Damas. J’ai rencontré des gens là-bas.

C’est vraiment une très belle ville. C’est très intéressant. Donc, j’y vais beaucoup. J’adore la côte aussi. C’est super joli.

Il y a plein de petits villages autour de Damas qui sont trop mignons. Et puis, c’est aussi important d’aller voir le reste du pays qui est encore autre chose.

Tu vois là, tout ce que je t’ai dit, c’est dur à Damas, mais c’est pire ailleurs. C’est-à-dire qu’à Alep, ils n’ont quasiment pas d’électricité.

Donc, c’est fou. Donc, ça te permet aussi de voir tout le reste du pays, que ce soit dans la réalité que les gens vivent aujourd’hui ou dans le côté apprendre sur le pays, apprendre sur l’histoire, découvrir d’autres villes, voir à quoi ça ressemble, etc.

Et moi, j’y trouve mon compte là-dedans. Ça me nourrit énormément. Je me sens heureuse. J’ai un quotidien que j’aime.

Oui, c’est difficile, mais pour l’instant, les aspects positifs de ma vie ici compensent avec ces difficultés.

Et franchement, quand le week-end, je vais me promener dans la vieille ville de Damas, je passe à côté de la mosquée des Omeyad, je vais voir mes amis, etc. En fait, je me dis, je sais pourquoi je suis là et je n’ai pas envie de partir.

Là, je planifie de rester encore une année scolaire supplémentaire à la rentrée.

Après, clairement, sur le long terme, je ne me vois pas rester non plus. Je ne peux pas m’installer ici.

Je n’ai pas de vision d’avenir. Personne n’en a de toute manière.

À l’école, moi, j’ai un salaire quasi local, donc je ne suis pas très bien payée. C’est très juste.

Du coup, à un moment donné, tu es française aussi et tu te dis la retraite, acheter un jour un appartement, tout ça.

C’est un petit panse aussi, tu vois. Donc, quand tu ne peux pas mettre en place de projet d’avenir, c’est quand même très difficile.

Donc, je ne me vois pas rester ici. Mais même, je ne sais pas si j’ai envie d’avoir des enfants un jour.

Je n’ai pas forcément envie qu’il n’y ait pas d’électricité les trois quarts de la journée, que ce soit la galère pour donner le bain ou je ne sais pas quoi.

Je ne me dis pas que je pourrais m’installer ici, alors que franchement, s’il n’y avait pas ces problèmes-là, Damas, c’est la ville de mon cœur.

Je m’installerai ici.

Kelly : Tu disais, tu te balades comme ça, tu vas à travers le pays.

Tu ne te sens pas en insécurité? 

Charlotte : Non, je ne me sens pas en insécurité. C’est vrai que l’armée est partout.

Après, ça fait des années que je vis dans des contextes où l’armée est partout de toute manière. En Égypte, c’est la même chose.

De toute façon, c’est une dictature militaire, donc l’armée est partout. Là, c’est pareil. Il y a des checkpoints militaires partout dans la ville.

Quand tu sors, c’est pareil. Partout sur les routes, etc. Donc, oui, l’armée est là. Mais après, moi, ce qui me fait le plus peur, la raison pour laquelle je peux me sentir en insécurité, c’est les attaques d’Israël. C’est là, ces moments-là où je flippe, où je n’aime pas.

Mais autre que ça, non. Après, bien sûr qu’il y a encore des zones de conflit en Syrie. Il y a des endroits où c’est encore très tendu.

Mais c’est des endroits que l’on ne voit pas du tout. Tu restes éloigné de tout ça, bien évidemment.

Kelly : Et quand tu sors, est-ce que tu dois mettre une tenue particulière ou tu peux t’habiller un peu à la française?

Charlotte : Pas du tout. Pas du tout. La Syrie, c’est extrêmement cool là-dessus. De toute façon, franchement, je n’ai jamais porté une tenue particulière dans le monde arabe.

Simplement, évidemment, on respecte les codes. Tu ne te mets pas en débardeur spaghetti ou en short. Mais c’est devenu ma manière de m’habiller, de toute façon, maintenant.

Je mets mes jeans que je mets en France. Il y a juste l’été, évidemment, je porte beaucoup de petites robes.

Maintenant, du coup, j’ai trouvé le truc. Je porte des robes longues. Mais ce que je fais, c’est que je mets des robes qui font des bretelles.

Et maintenant, j’ai fait des petits kimonos. J’ai acheté des petits trucs comme ça que je peux mettre pour cacher mes épaules, mes bras.

Mais c’est surtout parce que je suis très tatouée sur les bras et que du coup, ça attire vachement le regard. Enfin, je suis déjà blanche, rousse, tatouée en plus.

Franchement, ça fait trop. Et moi, je n’aime pas forcément qu’on me fixe pendant des heures dans la rue.

Donc, je préfère, je mets mon petit kimono comme ça. Je suis un peu plus tranquille. Mais ce n’est pas pour la sécurité ou quoi que ce soit.

C’est plus par respect et puis pour passer un peu plus inaperçu, même si clairement, ça marche qu’à moitié.

Kelly : Oui, j’allais dire parce que c’est vrai que tu as un profil qui est, je pense, pour eux, pas commun.

Pour nous, tu passes inaperçu. Mais c’est vrai que pour eux, ça doit être différent.

Charlotte : Alors, moins pour la Syrie parce que figure-toi qu’il y a beaucoup de roux !

Et c’est vrai que, par exemple, dans le monde arabe, les Syriens sont connus pour être blancs.

En fait, il y a beaucoup de gens qui sont très clairs de peau. En fait, il y a eu beaucoup d’immigration d’Europe orientale, d’Europe de l’Est, de l’Arménie, etc.

Il y a eu beaucoup de mélanges et du coup, tu as beaucoup de gens qui même ont des traits un peu européens.

Il y a plein de Syriens que tu vois et typiquement, tu ne dirais pas, tiens, ils viennent du Moyen-Orient.

Si tu les voyais en France, tu dirais, c’est des Européens, des Français, je ne sais pas.

Donc, c’est rigolo et j’ai vu plein de gens qui sont encore plus roux que moi.

Quand je suis arrivée, je me suis dit, tiens, c’est rigolo, c’est mon pays.

Eh bien voilà, tout ça vient de là.

Kelly : Excellent, j’adore.

Écoute, je pourrais échanger encore des heures avec toi, mais là, limite, je culpabilise parce que pour info, elle vient de brancher la batterie parce qu’elle n’a plus de batterie.

Et là, je culpabilise à te piquer le peu d’énergie que tu as.

Du coup, est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais ajouter par rapport à cette expérience en Syrie?

Charlotte : Juste que le seul mot que je peux mettre sur cette expérience en Syrie, c’est vraiment intense.

C’est vraiment quelque chose et même là, on en a parlé beaucoup, mais on pourrait dire encore tellement de choses.

C’est très difficile de parler de cette expérience parce que c’est plein d’émotions très contradictoires.

C’est beaucoup de bonheur et beaucoup de belles choses et en même temps, beaucoup de difficultés, beaucoup de confrontations à des choses très dures.

C’est complexe et j’espère que les gens qui écouteront le témoignage, comprendront que c’est un pays qui demande à ce qu’on essaie de comprendre ce qui se passe, comment vivent les gens aujourd’hui et que cette expérience, elle est vraiment complexe et intense parce que tout est compliqué.

Kelly : Oui, et puis pas seulement, c’est limité à ce qu’on voit à la télé parce que forcément.

Mais du coup, je mettrai aussi, je mets toujours dans la description ton compte Instagram pour ceux qui voudraient te suivre, etc.

Et du coup, mes petites questions de la fin, la première, c’est si tu pouvais te passer un message aujourd’hui, le jour où tu as vu cette annonce pour la Syrie, est-ce que tu te dirais quelque chose?

Charlotte : Je me dirais fonce et n’aie pas peur parce que je me dirais ça va être encore plus beau que ce que tu imagines aujourd’hui.

Mais juste des gouttes pour les yeux dans ta valise.

Et prends du pesto, il n’y en a pas.

Des trucs tout cons des fois où on se réalise la chance qu’on a d’en avoir et quand on ne les a pas, on se dit j’aurais jamais cru.

Kelly : Moi, c’était le maggi ! Aux Etats-Unis, je ne trouvais jamais la sauce maggi.

Une salade sans magie pour moi, ce n’est pas possible. Mais des trucs cons.

Charlotte : Voilà, on a tous nos petites faiblesses.

Kelly : Pour conclure cet épisode, est-ce que tu voudrais nous citer ta citation préférée ou ta chanson préférée?

Charlotte : J’ai deux citations. La première, c’est qui craint de souffrir, souffre déjà de ce qu’il craint.

J’adore cette citation parce que je pense qu’on est beaucoup inhibés par nos peurs et par nos angoisses.

Et je pense que des fois, on ne fait pas le premier pas pour un projet parce qu’on est immobilisés par la peur.

Et finalement, on souffre déjà de ça et c’est dommage. Donc, je pense qu’il faut arriver à se libérer de cette peur-là.

Et la deuxième citation, c’est une citation qui m’a beaucoup aidée dans ma vie, dans ma manière de vivre les choses.

Tu la connais peut-être, c’est le proverbe sur la pirogue et l’arbre.

Kelly : Oui, je la connais.

Charlotte : Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’arbre, c’est-à-dire de l’enracinement de l’identité.

Et les hommes errent constamment entre les deux besoins, en s’aidant tantôt à l’un, tantôt à l’autre, jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’arbre qu’on fabrique la pirogue.

Kelly : Celle-là, elle est magnifique. Tu vois, j’ai des frissons. Elle me donne tout le temps des frissons.

Charlotte : Je suis touchée parce que pour des personnes qui voyagent, qui vivent à l’étranger, etc., c’est vrai qu’on est toujours un petit peu tiraillé entre

« j’adore voyager, j’adore découvrir des nouveaux trucs », mais en même temps, j’ai ma famille, j’ai des amis en France.

Donc, des fois, j’ai envie d’être en France pour être avec eux, puis des fois, j’ai envie d’être loin.

Et en fait, toutes ces questions, je pense, d’équilibre, si on arrive à équilibrer notre chez-nous, notre enracinement, notre arbre, il peut nous donner, c’est lui qui va nous donner la force de partir.

Et je vais juste finir en disant quelque chose qu’un jour, ma mère m’a dit, où justement, elle se posait la question de pourquoi j’avais autant besoin de partir, de partir loin, etc.

Et elle avait demandé à un psychologue un petit peu, pas peiné, mais un petit peu…

Voilà, elle se posait la question de pourquoi est-ce qu’elle part aussi loin.

Et en fait, le psychologue lui avait dit « Mais vous savez, peut-être que justement, vous lui avez donné tellement confiance en elle qu’elle est capable de partir. »

Et c’est peut-être un peu grâce à vous, si elle a cette force et cette capacité à partir, parce qu’elle sait qu’elle peut revenir.

Et d’ailleurs, mon père m’appelle le boomerang.

J’ai un petit boomerang tatoué sur mon bras, parce que mon père, il dit toujours, de toute façon, elle est toujours barrée à l’autre bout du monde, mais elle finit toujours par revenir.

Kelly : Tu sais quoi? Là, mes parents pourraient dire la même chose de moi.

Donc, je ne sais pas si mon papa écoutera ça, mais attention, il risque de m’appeler boomerang bientôt.

Charlotte : Toi aussi, tu vas finir avec un boomerang tatoué sur le bras.

Kelly : Je pense. Tu sais quoi? J’ai déjà la planète, là.

Écoute, Charlotte, merci énormément pour ce partage si authentique et incroyable.

Et franchement, bon courage pour tout ça, parce que là, franchement, on parle de courage, clairement.

Et puis, j’ai hâte de suivre la suite de tes aventures.

Charlotte : Merci beaucoup et merci encore de m’avoir invitée.

Ça m’a fait très plaisir de pouvoir partager sur la Syrie, raconter un petit peu comment ça se passe aussi ici et dire c’est quoi vivre en Syrie en 2022.

Kelly : Merci beaucoup. À très vite.

Charlotte : À très bientôt.

Transcrit volontairement et avec amour par Kelly.